La trêve d’une nuit obtenue par la francs-maçons n’aura pas duré longtemps ! La délégation s’est heurtée au refus catégorique de Thiers, qui les a fait reconduire à Paris. Dès le lendemain matin, le 30 avril, les bombardements reprenaient, abîmant au passage les bannières que les frères avaient disposées sur les remparts. À l’Hôtel de Ville, la Commune divisée a finalement voté la constitution d’un Comité de Salut Public, censé reprendre le contrôle de la situation militaire, laissée dans un état désastreux par le général Cluseret. Pour le remplacer, le colonel Louis Rossel avait été adjoint à la délégation à la Guerre par la commission exécutive.

Batterie de canons entreposés au Fort d’Issy ( google map )

Aujourd’hui, le conseil de la Commune a décrété la création d’un Comité de Salut Public, un organe supérieur doté des pleins pouvoirs, qui devrait remplacer la commission exécutive. Le comité sera composé de cinq délégués, nommés par la Commune : Antoine Arnaud, Léo Meillet, Gabriel Ranvier, Charles Gérardin et Félix Pyat. Ces quelques hommes disposent désormais des « pouvoirs les plus étendus sur toutes les commissions », et devront prendre toutes les mesures nécessaires pour organiser la défense de Paris, et reprendre l’initiative des opérations militaires. Comment la Commune a t’elle pu en venir à remettre tous ses pouvoirs aux mains de cinq individus ?

 

Tout a commencé à l’annonce de l’évacuation du fort d’Issy. Le fort, tenu par une poignée de fédérés, se réveille le matin du 30 avril encerclé par les tirailleurs versaillais. Le commandant Megy, qui ne reçoit pas les renforts qu’il avait sollicité, décide d’évacuer la place forte. La rumeur se répand rapidement, et dans l’après-midi Cluseret et La Cecilia arrivent à la tête de quelques compagnies. Avant la fin de la journée ils réoccupent les positions abandonnées par les fédérés. Le général Gustave Cluseret, délégué à la Guerre, est immédiatement arrêté à son retour, et transféré à la prison de Mazas. La commission exécutive nomme le colonel Louis Rossel pour le remplacer.

On reproche au général Cluseret de n’avoir rien mis en oeuvre pour défendre Paris. Depuis le 20 avril, chaque commission est représentée par un délégué, nommé par la Commune à la majorité. Les délégués prennent les décisions qu’ils croient justifiées, et rendent des comptes à l’assemblée communale, en séance. Mais la situation ne s’améliore pas et les attributions des uns et des autres ne sont pas claires. La commission de la Guerre, en particulier, se heurte au pouvoir toujours présent du Comité Central de la Garde Nationale, et aux sous-comités d’arrondissement qui se sont créés spontanément.

Dès le 28 avril, Jules Miot, élu du 19e arrondissement, avait proposé l’établissement d’un Comité de Salut Public. En référence au gouvernement révolutionnaire de la Convention mis en place au printemps 1793, pour faire face aux dangers qui menacent la République, certains élus de la Commune veulent instituer un pouvoir fort, qui serait incarné par ce Comité. Plusieurs délégués rappellent l’obligation d’appliquer le mandat impératif, dénoncent la concentration de tous les pouvoirs entre les mains de quelques uns, et proposent la création d’une nouvelle commission exécutive, ce qui équilibre les voix. Mais la panique d’Issy précipite les choses.

C’est au terme des trois jours de débats très animés, que la Commune a annoncé aujourd’hui la création du Comité de Salut Public. Le décret a été adopté par 45 voix contre 23. Le vote a été l’objet d’une grande controverse parmi les élus, entre les tenants d’une centralisation du pouvoir, essentiellement jacobins et blanquistes, et les partisans de la démocratie directe, qui voient dans ce Comité une dictature mal déguisée, un retour au pouvoir personnel de l’Empire et de la monarchie.

Sur 23 élus qui ont voté contre, 15 ont rédigé une adresse collective pour motiver leur décision. Ils considèrent que cette décision « aura pour effet essentiel de créer un pouvoir dictatorial qui n’ajoutera aucune force à la Commune ». La commission exécutive avait déjà des attributions semblables, ce qui n’a pas empêché la désorganisation militaire. Comme le souligne le citoyen Vermorel, « ce n’est qu’un mot, et le peuple s’est trop longtemps payé de mots ».

Pour les 15 élus, la nomination d’un comité tout-puissant, sans lui définir de mandat précis, c’est surtout « une usurpation de la souveraineté du peuple. » Ils jugent ce décret « en opposition formelle avec les aspirations politiques de la masse électorale dont la Commune est la représentation ». Aucun des délégués qui ont voté contre ne participe à la nomination des membres du Comité. Pour motiver leur abstention, ils déclarent que ce Comité consacre « l’oubli des principes de réformes sociales d ‘où est sortie la révolution du 18 mars, et le retour, dangereux et inutile » au passé.

Les élus de la Commune sont désormais divisés en deux camps.

construction d’une barricade, par des civils et gardes nationaux

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© illustrations: Bibliothèque historique de la ville de Paris, éditions Dittmar, Musée Carnavalet.

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