Henri de Rochefort
Henri de Rochefort-Luçay, né à Paris le 30 janvier 1831, mort à Aix-les-Bains (Savoie) le 30 juin 1913, mieux connu sous le nom d’Henri Rochefort, est un journaliste et un homme politique français.
Titulaire en 1849 du baccalauréat, il est un admirateur de Victor Hugo et renonce vite aux études médicales auxquelles le destinait son père, auteur dramatique lui-même, connu sous le nom d’Armand de Rochefort. Il débute une carrière d’employé à l’Hôtel de ville qui lui laisse le temps d’aiguiser sa plume. Il se tourne rapidement vers le journalisme en fondant avec Jules Vallès la Chronique parisienne, qui ne dure que quelques numéros. Il entre en 1856 au Charivari, chargé de la rubrique théâtre. Malgré une promotion en 1860, il démissionne de la ville de Paris dès que ses revenus littéraires le lui permettent.
C’est en entrant au Figaro qu’il oublie sa particule. À l’époque, la presse est sévèrement contrôlée, le Figaro n’a pas encore payé le cautionnement qui autorise à aborder les sujets politiques. Henri Rochefort se limite donc à la vie littéraire. Il quitte le Figaro pour rejoindre le Soleil avant de réintégrer le Figaro avec un salaire quadruplé. Le ton d’Henri Rochefort n’est pas toléré bien longtemps par l’Empire, et il doit quitter le journal.
La loi sur la presse devenant plus libérale, il décide de fonder son propre journal : La Lanterne, en mai 1868. Imprimé à 15 000 exemplaires, il faut lancer des tirages supplémentaires pour atteindre les 100 000 exemplaires vendus. L’éditorial du premier numéro restera célèbre : « La France compte 36 millions de sujets, sans compter les sujets de mécontentement… » L’indifférence affichée par le pouvoir ne résiste pas longtemps au succès du journal. Après une interdiction à la vente publique, il est attaqué en justice et sévèrement condamné (amendes et prison). Rochefort rejoint alors à Bruxelles l’autre ennemi de « Napoléon-le-Petit » : Victor Hugo, qui le loge plusieurs mois.
En France, on continue de se délecter de La Lanterne, vendue clandestinement. Protégé par son exil, Rochefort adopte un ton encore plus acerbe dans ces critiques de l’Empire. L’ennemi juré des bonapartistes est sollicité par les électeurs parisiens lors des élections législatives de 1869, mais il est battu par Jules Favre (auquel se rallient les bonapartistes). En novembre, il est élu au siège laissé vacant par Léon Gambetta.
Le 19 décembre 1869 sort le premier numéro de son nouveau journal, La Marseillaise, co-créé avec Lissagaray. Le quotidien accueille les collaborations de Eugène Varlin, Jules Vallès, Paschal Grousset et de Victor Noir. Celui-ci est assassiné le 10 janvier 1870 par Pierre Bonaparte. Les obsèques ont lieu le 12 janvier, suivies par 100 à 200 000 personnes en colère. Pour certains, Rochefort rate à ce moment une occasion de renverser l’Empire.
Le gouvernement parvient à lever l’immunité parlementaire du député et dans la foulée obtient sa condamnation à six mois de prison. Il est conduit à la prison Sainte-Pélagie, où il est plutôt bien traité et peut continuer à écrire pour La Marseillaise et discuter avec ses camarades détenus Paschal Grousset et Olivier Pain. C’est du fond de sa cellule qu’il apprend la déclaration de guerre à la Prusse. Par patriotisme et par prudence, espérant une libération prochaine, il suspend la La Marseillaise. On préfère pourtant le maintenir en prison.
Napoléon III s’est rendu, la République est proclamée le 4 septembre 1870, Rochefort est libéré le même jour et porté en triomphe auprès du gouvernement provisoire qui siège à l’Hôtel de ville. Le gouvernement de la Défense nationale est composé exclusivement des députés de Paris ou de députés ayant été élus à Paris mais ayant opté pour un autre département (Gambetta, Jules Simon). C’est donc de droit qu’Henri Rochefort est membre du Gouvernement de la Défense nationale. Seuls les généraux Louis Jules Trochu et Auguste Le Flo ne sont pas des élus, mais considérés par les républicains modérés comme des anti-bonapartistes. En fait, les électeurs de Rochefort sont heureux de le voir au Gouvernement, car il est la caution de l’extrême gauche contre qui s’est faite cette révolution du 4 septembre. À la suite de l’émeute du 31 octobre, de nouveau confronté à une situation critique, il démissionne prudemment et se dégage de la vie politique jusqu’en janvier 1871, préférant se contenter de fréquenter des amis. L’armistice du 26 juillet, qu’il rejette, et l’annonce d’élections début février lui fait reprendre la plume en créant Le Mot d’ordre. Dès le 5 février, il est solidement élu de même que ceux qu’il soutient.
Il doit rejoindre l’Assemblée à Bordeaux. Celle-ci est favorable à l’armistice avec les Prussiens qui assiègent Paris : il en démissionne donc rapidement. Il rentre trop tard à Paris pour assister aux débuts de la Commune. Son attitude alors devient plus complexe. Sans croire à la victoire, il refuse la défaite. Sans condamner la Commune, il la soutient de moins en moins, et se fait de plus en plus critique. Dans le Mot d’ordre, les critiques d’Adolphe Thiers et des Versaillais sont vives, mais les Communards, notamment ses anciens amis comme Paschal Grousset, ne sont pas épargnés.
En mai, il est arrêté à Meaux et livré aux Versaillais. Le procès a lieu en septembre ; Rochefort est condamné à vie à la déportation en enceinte fortifiée. Ses amis (dont Victor Hugo) tentent d’amoindrir sa peine et obtiennent de Thiers qu’il s’engage à protéger Rochefort.
D’abord interné à la prison Saint-Pierre à Versailles, Rochefort est envoyé à fort Boyard où il retrouve Paschal Grousset. Les premières déportations ont lieu en mai, puis, en juin, Rochefort voit partir ses camarades Grousset, Pain et Jourde. Il est transféré à Oléron où il rencontre Henri Messager, et découvre le sort d’un groupe d’insurgés algériens arrêtés en 1871 lors de la révolte des Mokrani qui deviennent bientôt les kabyles du Pacifique. Toujours grâce à l’entremise de ses influents amis francs-maçons de l’extérieur, Rochefort est transféré à Saint-Martin-de-Ré où il peut écrire un roman. Il est même autorisé à épouser la mère de ses enfants gravement malade.
La démission de Thiers retire à Rochefort toute protection. Malgré l’insistance de Victor Hugo qui écrit au duc de Broglie, la déportation est devenue inévitable et le 8 août, Rochefort est embarqué à bord de La Virginie, dans le même convoi qu’Henri Messager et Louise Michel, avec qui il échange des poésies.
Arrivé le 8 décembre 1873 à Nouméa, en Nouvelle-Calédonie, Rochefort, comme tous les déportés en enceinte fortifiée, est débarqué à la presqu’île Ducos. Il s’installe volontairement à l’écart dans la case de Paschal Grousset et Olivier Pain afin préparer avec ses trois compagnons une évasion dont les grandes lignes avaient été arrêtées à Paris avec des amis du journaliste, francs-maçons comme lui ; et c’est grâce à l’appui logistique des francs-maçons australiens que l’évasion de Rochefort avec cinq co-détenus communards réussira.
Le 19 mars 1874, à la nuit tombée, Rochefort, Grousset et Pain atteignent à la nage l’îlot Kuauri qui n’est pas surveillé. Les déportés libres Charles Bastien, Achille Ballière et François Jourde viennent les chercher à bord d’une barque pour rejoindre le PCE (« Peace, Comfort, Ease »), un navire britannique qui doit appareiller le lendemain pour Newcastle en Australie.
Malgré quelques difficultés l’évasion réussit et les six évadés parviennent en Australie le 27 mars. Rochefort s’empresse de prévenir Edmond Adam qui lance une souscription destinée à payer les frais et à financer le retour des évadés en Europe. Rochefort partage alors assez inéquitablement la somme reçue. Les évadés se séparent. Olivier Pain et Rochefort choisissent de rejoindre le plus tôt possible le Royaume-Uni en passant par l’Amérique. Ils embarquent donc à bord du Cyphrénès dans lequel Jourde et Ballière ont aussi réussi à prendre place jusqu’aux aux îles Sandwich avec une escale aux Îles Fidji. Ils embarquent alors vers San Francisco d’où ils rejoignent New York. Rochefort, sollicité par le New York Herald pour rapporter le récit de la déportation, s’empresse d’accepter. Rochefort et Pain parviennent enfin à Londres le 18 juin 1874 où ils sont accueillis par les Communards exilés.
C’est la seule évasion réussie de toute l’histoire du bagne de Nouvelle-Calédonie.
Henri Rochefort est le directeur du journal L’Intransigeant. Il se rapproche progressivement du boulangisme et de l’extrême droite. Il rejoint le Comité républicain de protestation nationale, puis entre au comité directeur de la Ligue des patriotes. Il est l’un des plus forts soutiens au boulangisme triomphant aussi bien intellectuellement que financièrement et suit le Général Boulanger dans son exil à Bruxelles et à Londres.
En août 1889, il est condamné, avec Boulanger et Arthur Dillon, par la Haute Cour de justice et par contumace, à la déportation en enceinte fortifiée.
Lorsque qu’éclate l’affaire Dreyfus, il laisse libre court à son antisémitisme pour mener campagne avec les « anti ».
Déjà, sous l’affaire Dreyfus, sa popularité est largement entamée auprès des classes populaires. Bientôt, il ne peut plus honorer le mur des Fédérés sans subir les quolibets des Parisiens.
Il continue inlassablement son activité de polémiste et, sans grand discernement, mène des combats contradictoires pour lesquels le goût de la formule l’entraîne souvent vers l’insulte.
Le dimanche 6 juillet 1913, ses obsèques civiles se déroulèrent au cimetière Montmartre accompagnées d’une foule immense de Parisiens massés autour de la place Clichy.