Trahison ! Les Versaillais sont entrés dans Paris ! Sur les indications d’un sinistre mouchard nommé Ducatel, la division Douai s’est infiltrée par la Porte de St. Cloud avant de donner le signal aux hommes des généraux Cissey et Clinchant. Ils ont occupé sans difficultés le 15ème et le 16ème arrondissement. Seul le bataillon des volontaires, dépêché sur place, a opposé une résistance sérieuse à ces mouvements de troupes. Isolés, les défenseurs de Paris ont dû se replier sur la Muette, puis les Champs-Élysées. C’est une dépêche de Dombrowski, parvenue ce soir à la Commune, qui a donné l’alerte.
Les versaillais entrent dans Paris le 21 mai 2011, Porte St-Cloud ( google map )
Citoyens, l’heure est grave. À la faveur d’une trahison, l’armée de l’Ordre est entrée dans Paris aujourd’hui en début d’après-midi. Les troupes ont pu se masser devant la Porte Saint Cloud sans être inquietées : couplés au feu des forts d’Issy et de Vanves, les bombardements des batteries de brêche rendaient le rempart intenable. Les artilleurs ne pouvaient même plus tenir leurs postes. Le délégué à la Guerre, qui connaissait l’état déplorable de la défense, avait promis de faire installer une barricade mobile, et d’envoyer des renforts. Mais rien n’avait été fait.
C’est autour de 15h que les versaillais pénètrent dans la ville. Le traître Ducatel, voyant les bastions déserts, les portes laissées sans surveillance, grimpe sur les fortifications au niveau du bastion 64, et de là, fait signe aux versaillais dont les tranchées ne sont qu’à quelques centaines de mètres de l’enceinte. Il agite un drapeau blanc, et crie « Entrez, il n’y a personne ! »
Les soldats du général Douai étaient rassemblés depuis la veille devant les bastions vides, en perspective d’un assaut. Ces braves réactionnaires n’osaient pas entrer de peur de tomber dans une embuscade. Au signal de Ducatel, ils envoient un officier de marine en éclaireur, qui entre dans la ville et effectue une reconnaissance. Ayant trouvé les remparts abandonnés, et les maisons environnantes vides, ils s’en retourne à la tranchée et fait télégraphier la nouvelle à Versailles.
Dans Paris, on ne se préoccupe pas des nouvelles militaires. Le coeur est à la fête. Aujourd’hui, comme tous les dimanches depuis un mois, a lieu un grand concert de soutien au profit des veuves et des orphelins de la révolution. Quel spectacle, de voir ces hommes et ces femmes du peuple, tantôt exclus des beaux quartiers, venir flâner dans les jardins du centre de Paris, assister à des divertissements populaires dans les palais des rois et des empereurs !
Cet après-midi à partir de 14h, les parisiens étaient conviés au jardin des Tuilleries, pour le « grand festival de toutes les musiques de la Garde Nationale ». Ils sont venus plus nombreux que jamais, écouter les fanfares de l’armée du peuple jouer des airs de lutte et d’espoir. Le grondement sourd des canons, tout proche désormais, ne paraît pas émouvoir l’assistance.
À la fin du concert, un officier prend la parole : « Citoyens, monsieur Thiers avait promis d’entrer hier dans Paris; monsieur Thiers n’est pas entré. Il n’entrera pas. Je vous convie pour dimanche prochain, ici, à la même place, à notre second concert au profit des veuves et des orphelins. » La foule enthousiaste applaudit, tandis qu’au même moment, à deux portées de fusil de là, l’avant-garde des versaillais entre dans Paris.
La Commune n’apprend la nouvelle que le soir. C’est une dépêche de Dombrowski qui a donné l’alerte. Pendant ce temps, le général Douai fait télégraphier la nouvelle à Thiers et Mac-Mahon, qui supervisent les bombardements depuis le Mont Valérien. Les généraux donnent l’ordre de lancer l’assaut, et font cesser le feu pour permettre aux troupes de se déployer. Tandis que la nuit tombe, les lignards pénètrent silencieusement dans la ville insurgée.
Parisiens, nous avons souffert le siège, les bombardements, la famine, les complots et les trahisons, allons-nous laisser anéantir nos efforts par une armée de réactionnaires ? C’est au peuple en armes de défendre la révolution ! Nous avons su combattre pour l’obtenir, nous saurons mourir pour elle. Tous aux barricades !
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© illustrations: Bibliothèque historique de la ville de Paris, éditions Dittmar, Musée Carnavalet.