Conformément au décret pris hier par le conseil de la Commune, on a commencé ce matin les travaux de démolition de la maison d’Adolphe Thiers, située au 27 place Saint Georges.
Après l’évacuation du fort d’Issy, c’est maintenant le fort de Vanves qui subit de plein fouet le feu des batteries versaillaises. La défense de Paris, laissée dans un état critique par le traître Rossel, est confiée à Charles Delescluze, qui charge la commission des barricades de fortifier les places et les boulevards parisiens.

Maison de Thiers détruite devant l’actuelle Fondation Thiers ( google map )

Ce matin, place Saint Georges dans le IXème arrondissement, ouvriers et gardes nationaux se retrouvaient pour commencer un chantier inhabituel, commandé la veille par le Comité de Salut Public; la destruction de la maison d’Adolphe Thiers. Chef du pouvoir éxécutif de la République monarchiste, fier représentant des capitulards et des bourgeois, Thiers est l’homme de Versailles. Désormais, il n’aura plus de demeure dans la ville insurgée.

Adolphe Thiers entre en politique sous la Restauration monarchique, qui suit la chûte de l’Empire. Alors jeune avocat marseillais, il fait partie des orléanistes qui portent Louis-Philippe sur le trône à l’issue de la révolution des Trois Glorieuses, en juillet 1830. En octobre 1832, il entre au gouvernement au poste de ministre de l’intérieur. En novembre 1833, il épouse Élise Dosne, fille aînée de sa maîtresse, Euridice Dosne, femme d’un riche agent de change. Ce mariage lui vaut une très grande fortune.

En avril 1834, il s’illustre en réprimant, au prix de 600 morts et 10.000 arrestations la seconde révolte des canuts, les travailleurs lyonnais de la soie. Chef du gouvernement en 1836, il est écarté au profit de Guizot en 1840. Devenu républicain, il soutient la révolution de 1848, puis fait campagne pour la droite contre les socialistes, et soutient Louis-Napoleon Bonaparte et le Parti de l’Ordre.

Face aux émeutes ouvrières de juin 1848, il propose sans succès la reconquête de Paris par l’armée. Opposé au coup d’État du 2 décembre 1851, il fuit en Suisse. De retour en France, il est élu député de Paris en 1863. Il fait un discours remarqué sur les « libertés nécessaires » et devient le chef de l’opposition libérale. Après la défaite de Sedan, il négocie avec l’aide de Jules Favre en particulier les cessions territoriales françaises, contre l’assurance d’une paix immédiate. Prêt à tout pour désarmer le peuple parisien, c’est encore lui qui ordonne de saisir les canons de la Garde Nationale le 18 mars, une maladresse que les généraux Lecomte et Thomas paieront de leurs vies.

À soixante-treize ans, le monarchiste reconverti à la république va s’ériger en défenseur de la patrie, qu ‘il a déjà trahie en complotant avec Bismarck, et surtout en paladin des gens de bien. La bourgeoisie, les millieux d’affaires et l’aristocratie impériale sont prêts à tout pour étouffer la Commune, véritable révolution sociale susceptible d’ébranler les fondements de la société française. Ils trouvent en Thiers un serviteur dévoué.

Thiers ne recule devant aucune bassesse pour réduire Paris. Il déclare officiellement la guerre à « l’émeute », et fait assiéger et bombarder la capitale par l’armée. Depuis le 25 avril il a mis en place un blocus alimentaire de la ville, qui fait monter les prix des denrées de base et accable les parisiens les plus pauvres. La bourgeoisie est prête à affamer Paris, pour empêcher le peuple de réclamer son dû ! Thiers peut aussi compter sur les agents de police et les mouchards restés dans la ville, dont il subventionne les dénonciations.

Le 8 mai, il avait même osé faire afficher dans Paris un appel à rallier l’armée de l’ordre, dans lequel il niait les bombardements, alors même que dans la ville tous, hommes femmes et enfants, sont victimes des obus de Versailles. Le Comité de Salut Public répond dans une proclamation que si Thiers est contraint de « faire appel à la trahison » pour soumettre la grande ville , c’est qu’il lui est impossible «  de vaincre par les armes l’héroïque population de Paris ».

 

Le comité de Salut Public, face à cette dernière provocation, a décrété la destruction de la maison du nabot de Versailles. L’ hôtel particulier immense qu’il occupait avant de fuir la ville, situé au numéro 27 de la place Saint Georges dans le IXème arrondissement, est donc en voie d’être rasé. Dans un décret publié au Journal Officiel, la Commune précise que les biens meubles de Thiers seront saisis.

Les employés de Thiers, qui n’avaient pas quitté l’hôtel, purent constater la régularité de l’intervention. Le 14 avril, dans la matinée, la Commune avait ordonné la fouille de l’hôtel par trois de ses envoyés. Les papiers et l’argenterie furent saisis. Après une perquisition en bonne et due forme, on décide que tout le linge provenant de la maison de Thiers sera mis à disposition des ambulances de la Commune. Les nombreux objets d’art et livres précieux seront envoyés aux bibliothèques et aux musées nationaux. Une fois la maison rasée, la Commune a prévu d’établir un square public sur le terrain qu’occupe l’hôtel particulier.

Pendant ce temps, l’armée versaillaise resserre l’étau autour de Paris. Depuis la chûte du fort d’Issy, c’est à Vanves que se concentrent les combats. La Cecilia, malade, cède la place à Wroblewski, qui parvient à repousser les versaillais à la tête de la 11ème légion. Delescluze, qui remplace le traître Rossel comme délégué à la Guerre, a pris des mesures pour renforcer la commission des barricades. Les parisiens qui ne se battent pas, des femmes pour la plupart, sont tenus de collaborer à la défense de la ville. Dans les locaux du Corps Législatif, 1500 femmes passent les journées à coudre des sacs de sable pour fournir les barricades en construction dans tous les quartiers.

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© illustrations: Bibliothèque historique de la ville de Paris, éditions Dittmar, Musée Carnavalet.

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