Ce matin, à l’Hôtel de Ville, vingt-deux élus de la Commune ont annoncé leur démission collective. Ils ont rédigé une adresse à la majorité, qui critique violement ses méthodes, son attitude vis-à-vis de la minorité, et les décisions du Comité de Salut Public. Aux portes de Paris la situation est critique. Le fort de Vanves n’a pas résisté au feu convergeant des batteries Versaillaises. Il a été évacué hier dans la soirée. Les villages d’Issy et de Vanves, malgré les efforts de Brunel, ont aussi été perdus. Le cercle se referme sur la grande ville, enserrée entre les troupes prussiennes et les lignards de Versailles.

Barricade de Ménilmontant, dimanche 15 mai 2011 ( google map )

Paris se prépare à la guerre des rues. Depuis l’échec de la sortie du 3 avril, Versailles ne craint plus une offensive des fédérés. Avec la chûte du fort de Vanves, c’est le dernier bastion qui protégeait l’enceinte de la ville qui tombe entre les mains de l’ennemi. Les quelques milliers de défenseurs de la Commune, qui ont tenu en échec pendant cinq semaines des forces cent fois supérieures, sont contraints de se replier derrière les fortifications. Les bombardements versaillais continuent inlassablement, sur toute la partie ouest de la ville.

 

L’appareil militaire est complètement désorganisé. Le Comité Central, qui s’est maintenu, profite de la confusion pour se mêler de tout, rédige des proclamations, ordonne des dépenses, ce qui ajoute encore au désordre de la défense parisienne. Delescluze, le nouveau délégué à la Guerre, prend des dispositions, mais le Comité de Salut Public en prend aussi qui sont contradictoires, et la plupart des ordres ou décrets ne seront pas appliqués.

Face à la menace versaillaise, Paris fait appel à la province. Une affiche adressée aux grandes villes de France a été envoyée dans tous les départements, appelant à prendre les armes pour défendre Paris, et la République.

« Qu’attendez-vous donc pour vous lever ? Le temps est aux actes, quand la parole est au canon. Vous avez des fusils et des munitions. Aux armes ! Debout les villes de France ! « 

Au conseil de la Commune, les élus sont divisés.
Depuis la création du Comité de Salut Public le 1er mai, les disputes continuent à l’Hotel de Ville. Les agissements du Comité, qui multiplie les fausses proclamations, pratique la censure de la presse, et concentre tous les pouvoirs de la Commune sans pour autant parvenir à organiser convenablement la défense de Paris, sont dénoncés par les membres de la minorité. Vermorel, dans La Justice, accuse la majorité de trahir les électeurs parisiens, et l’idéal communal.

Entre la majorité, composée des jacobins et des blanquistes, favorables au Comité de Salut Public, et la minorité, le ton monte à l’Hotel de Ville. La majorité, qui refuse de désavouer ses pratiques, prend prétexte de l’urgence pour déplacer les séances. Elle se réunit seule, dans des lieux fixés entre élus de la majorité, et prend seule des décisions. Dans ces conditions, les élus de la minorité ne peuvent plus exercer aucun contrôle sur les décrets du conseil ou du Comité de Salut Public.

Hier, la majorité faisait révoquer les mandats de tous les membres de la minorité qui étaient délégués d’une commission. Ainsi Varlin est éliminé de l’Intendance, Vermorel de la Sûreté, et Longuet écarté de la rédaction du Journal Officiel. Cette nouvelle provocation ne peut pas être ignorée par les hommes de la minorité. Déjà opposés à la création du Comité de Salut Public, qui confie tous les pouvoirs de la Commune à un petit comité de cinq membres, sans mandat précis, ni contrôle suffisant de leurs actions, ils décident de rédiger un texte collectif, adressé à la majorité.

Aujourd’hui à la séance de la Commune, vingt-deux élus ont annoncé leur démission. Les élus de la majorité, qui avaient pourtant été prévenus, ne sont pas venus débattre avec la minorité, ils n’ont pas même daigné recevoir leurs doléances. Les élus de la minorité, fatigués d’être traités en opposants, et d’être écartés des décisions qui concernent l’avenir de la Révolution, ont décidé de tous démissionner ensemble, en signe de protestation. Ils ont fait parvenir leur manifeste à la presse.

Pour les élus qui démissionnent, le Comité de Salut Public mène la Commune à sa perte. « Par un vote spécial et précis, la Commune a abdiqué son pouvoir entre les mains d’une dictature. La minorité à laquelle nous appartenons veut, comme la majorité, l’accomplissement des rénovations politiques et sociales. Mais contrairement à sa pensée, sans nous abriter derrière une suprême dictature que notre mandat ne nous permet ni d’accepter ni de reconnaître”.

Les vingt-deux annoncent qu’ils se retirent dans leurs arrondissements, et qu’ils participeront en soldats à la défense de la ville insurgée. « Dévoués à notre grande cause communale, pour laquelle tant de citoyens meurent tous les jours, nous nous retirons dans nos arrondissements, trop négligés peut-être. Convaincus, d’ailleurs, que la question de la guerre prime en ce moment toutes les autres, nous irons passer le temps que nos fonctions municipales nous laisseront au milieu de nos frères de la Garde Nationale, et nous prendrons part de cette lutte décisive soutenue au nom des droits du peuple. »

Le manifeste est signé : Beslay, Jourde, Theisz, Lefrançais, Gérardin, Vermorel, Clémence, Andrieu, Serailler, Longuet, Arnould, Clément, Avrial, Ostyn, Frankel, Pindy, Arnold, Vallès, Tridon, Varlin, Courbet, Malon.

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© illustrations: Bibliothèque historique de la ville de Paris, éditions Dittmar, Musée Carnavalet.

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