La Commune a décrété aujourd’hui la suppression de cinq des journaux qui supportent ouvertement le gouvernement de Versailles. Hier, dans la nuit, les versaillais ont surpris les fédérés qui gardaient la redoute du Moulin-Saquet : ils ont égorgé une cinquantaine d’entre eux, dont ils déchiquettent les cadavres, capturé deux cent prisonniers, et pris la position ainsi que les canons des gardes nationaux parisiens. Aux abords de Paris, les combats se poursuivent.
À compter de ce matin, Le Temps, La France, Le Petit Journal et L’Univers, toute cette presse hostile est interdite jusqu’à nouvel ordre, vraisemblablement jusqu’à ce que la situation se rétablisse. Il n’y aura plus d’appels à la chute de la Commune, ni d’applaudissements après une défaite des fédérés. Est-ce un revirement pour la Commune, qui a fait de la liberté un mot d’ordre ? Nombreux sont ceux qui voient dans cette décision le premier acte du Comité de Salut Public pour replonger Paris dans la Terreur de 1793.
Devant le Théatre des variétés lors de la saisie des journaux hostiles à la Commune, le 5 mai 2011 ( google map )
Pourtant, depuis le siège et la proclamation de la République, le peuple a vu apparaître une nouvelle presse, affranchie des bourgeois qui la tenaient jusqu’alors. À plusieurs reprises, les parisiens ont pu se rendre compte des mensonges véhiculés par les journaux de la réaction.
Ainsi, cela faisait plusieurs jours que des citoyens hostiles se rassemblaient devant le 26 rue Drouot, siège du Figaro. Son directeur, le célèbre Hippolyte de Villemessant, se plaignait de ne pouvoir entrer ou sortir sans entendre “À bas Le Figaro ! À bas les mouchards”.
Le 19 mars déjà, les locaux du journal avaient été envahis par la foule, contraignant le Comité Central à réaffirmer la liberté de presse, tout en soulignant que celle-ci avait le “devoir de respecter la République, la vérité, la justice”. Une recommandation vaine, quand on sait que la plupart des journaux établis avant l’euphorie de la Commune sont tenus par la bourgeoisie et font le jeu du gouvernement de Thiers.
Versailles dispose ainsi d’un redoutable instrument de propagande. La population n’est pas dupe, et lit davantage Le cri du peuple et La sociale que Le Bien Public ou Le Siècle, qui voit dans la Commune la “lie de repris de justice et de criminels”.
« On se demande comment il peut se trouver une presse assez injuste pour déverser la calomnie, l’injure et l’outrage sur ses citoyens », s’interroge le Comité Central dans le Journal officiel. « Les travailleurs devront-ils donc sans cesse être en butte à l’outrage ? Ne leur sera-t-il jamais permis de travailler à leur émancipation sans soulever contre eux un concert de malédictions ?”.
Le 18 avril, Raoul Rigault donnait lecture au conseil de la Commune de quelques passages extraits du Bien Public et de La Cloche. À la tribune, il avait demandé si l’on pouvait autoriser la parution de feuilles appelant les troupes de Versailles “nos soldats”. Jules Vallès, fondateur du Cri du peuple, s’était élevé pour la liberté de presse en réclamant qu’on supprime tous les journaux ou aucun, la liberté ne pouvant souffrir d’exceptions. La Commune n’a donc finalement pas suivi son avis.
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© illustrations: Bibliothèque historique de la ville de Paris, éditions Dittmar, Musée Carnavalet.